
Dans les montagnes du Haut Atlas, Tinmel panse ses plaies. Sa mosquée du XIIᵉ siècle, détruite par le séisme, devient aujourd’hui le théâtre d’une renaissance patrimoniale et d’un nouvel espoir pour les habitants.
Le 8 septembre 2023, à 23h05, un séisme d’une magnitude de 6,8 frappe le Maroc, son épicentre se situant dans la région d’El Haouz. La secousse est ressentie à Marrakech, Taroudant et Ouarzazate, provoquant la mort de 2 946 personnes et blessant plus de 5 600 autres. Les dégâts sont considérables : près de 60 000 maisons détruites, au moins 585 écoles effondrées et des monuments historiques gravement touchés, parmi eux la Grande Mosquée de Tinmel, joyau architectural du patrimoine almohade.
Construite au XIIᵉ siècle par le calife Abd al-Mu’min sur les ruines de la mosquée de son maître spirituel Ibn Tumart, la Grande Mosquée de Tinmel n’était pas qu’un lieu de prière. Elle incarnait la puissance d’un empire amazigh et musulman qui s’étendait du Maghreb à Al-Andalus.
Les Almohades, « ceux qui proclament l’unité divine », ont fait de Tinmel leur sanctuaire et leur point de départ pour la conquête. Avant de traverser vers l’Andalousie, les califes visitaient la tombe d’Ibn Tumart et organisaient une cérémonie religieuse dans la mosquée. Le calife Abu Yusuf Yaqub al-Mansur, accompagné de savants comme Ibn Rushd, y fit halte avant la bataille de l’Arche, l’un des plus grands affrontements entre musulmans et chrétiens au XIIᵉ siècle.
Pendant des siècles, Tinmel a été un haut lieu spirituel, une métaphore de l’unité et de la grandeur marocaine.
.jpg)
Mais dans la nuit du 8 septembre 2023, ses dômes sculptés et ses arcs en briques se sont effondrés sous la violence du séisme. Le minaret a été renversé, la salle de prière comblée de gravats, et les murs extérieurs renversés.
Au pied de ces ruines, les habitants endeuillés ont transporté les dépouilles de leurs proches. Parmi eux, Mohamed Hartatouch, ouvrier du bâtiment de 52 ans, a porté la dépouille de son fils Abdelkarim, enseignant remplaçant de 33 ans, mort sous les briques de sa maison écroulée. « On aurait dit une tempête », confie-t-il, encore marqué par l’attente interminable des secours.
.jpg)
Un an plus tard, les habitants vivent encore sous des tentes en plastique dressées à côté de leurs anciennes maisons. Beaucoup n’ont reçu qu’une première tranche d’aide de 2 000 dollars, insuffisante pour rebâtir. Moins de 1 000 familles ont pu reconstruire entièrement leur maison.
Pourtant, l’espoir renaît : les autorités marocaines, appuyées par des experts nationaux et étrangers, ont lancé un projet ambitieux de restauration de la mosquée. Chaque brique récupérée, chaque fragment décoratif est soigneusement trié. « Nous la reconstruirons sur la base des vestiges pour qu’elle redevienne ce qu’elle était », assure Ahmed Toufiq, ministre des Affaires islamiques.
En 2025, la Grande Mosquée de Tinmel, entre dans une nouvelle phase de restauration. Après plusieurs mois de suspension, les travaux ont repris au printemps avec une équipe d’architectes, d’archéologues et d’ingénieurs marocains épaulés par des experts internationaux. Des techniques modernes, comme la lasergrammétrie, sont utilisées pour reconstituer le dôme central et ses muqarnas, tandis que des fouilles révèlent de nouveaux artefacts qui éclairent l’histoire almohade. En parallèle, les habitants de Tinmel poursuivent la reconstruction de leurs maisons, souvent avec des matériaux renforcés, même si beaucoup dénoncent encore la lenteur des aides. Ces efforts conjugués – restauration, recherche et réhabilitation – redonnent espoir à une région meurtrie et renforcent la candidature de la mosquée à l’inscription définitive au patrimoine mondial de l’UNESCO.
.jpg)
Si les blessures humaines et sociales sont profondes — pauvreté, isolement des villages, routes coupées —, la mosquée de Tinmel reste un symbole puissant de résilience. Pour les habitants, elle n’est pas seulement un monument à sauvegarder, mais une terre sacrée, une source de fierté et d’identité.
« C’est notre passé », dit Redwan Aitsalah, un jeune maçon qui reconstruit sa maison en surplomb du site. Entre les échafaudages qui soutiennent encore ses ruines et les champs cultivés par les villageois, Tinmel incarne l’alliance fragile entre mémoire et avenir.
Le séisme a rappelé la vulnérabilité du patrimoine matériel et humain. Mais ce qui subsiste des murs de la Grande Mosquée de Tinmel demeure un témoin de la grandeur des Almohades et de la force des Marocains d’hier et d’aujourd’hui.
Dans ces montagnes meurtries, la reconstruction de Tinmel n’est pas seulement un chantier architectural : c’est un acte de mémoire, de dignité et de renaissance.

Docteure en langues et communication et titulaire d'un master en tourisme et communication. J’ai eu l’occasion de développer l’expertise dans le domaine de la communication touristique. J’ai mené des recherches en ingénierie touristique et en développement du tourisme culturel.