De Casablanca à Taroudant, des jeunes en gants et sacs-poubelle parcourent les ruelles endommagées après les manifestations. Ce geste citoyen n’est pas seulement symbolique : il s’inscrit dans un héritage collectif très ancien — la twiza — qui fait de l’entretien des espaces partagés une affaire de voisinage. Comment la Génération Z redonne vie à cette tradition ? Plongeons dans cette convergence entre modernité et mémoire.
Lors des récentes mobilisations liées au mouvement GenZ212, plusieurs quartiers des grandes villes marocaines ont connu des actes de vandalisme (tags, casse, détritus) après les rassemblements.
Pour contrer cela, des jeunes militants ont lancé des campagnes de nettoyage citoyen dans les jours qui ont suivi, invitant les habitants à les rejoindre pour réparer les dégâts visibles. Cette démarche a été relayée dans les médias et réseaux sociaux.
“GenZ212 lance une campagne citoyenne de nettoyage après les actes de vandalisme”, ce geste traduit une intention double : restaurer l’espace urbain et envoyer un message moral (le civisme comme réponse à la violence).
Pour bien comprendre ce que font ces jeunes, il faut remonter aux anciennes formes d’organisation communautaire au Maroc.
La twiza est une pratique coutumière d’entraide communautaire profondément ancrée dans la culture marocaine : les habitants d’un village ou d’un quartier s’unissent pour accomplir ensemble des tâches collectives comme l’entretien des chemins, l’irrigation, le nettoyage ou d’autres “grands travaux”. Souvent coordonnée par la jmaa — l’assemblée locale ou les notables —, elle incarne un modèle d’organisation solidaire qui renforce la cohésion sociale. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) souligne d’ailleurs que ces formes traditionnelles d’association contribuent encore aujourd’hui à la vitalité du tissu social marocain. Dans de nombreuses régions amazighes, la tiwizi demeure vivante : les communautés s’y appuient pour entretenir les infrastructures locales et perpétuer un esprit d’entraide intergénérationnel. En somme, l’idée de “nous, ensemble, prendre soin de ce qui est à nous” n’est pas étrangère au patrimoine marocain.
Même en milieu urbain, notamment dans les médinas, les quartiers populaires ou les petits centres, l’entretien des ruelles et des cours intérieures reste souvent une responsabilité collective partagée entre voisins. Les habitants s’organisent pour balayer, ramasser les déchets ou déboucher les caniveaux, perpétuant ainsi une tradition d’entraide et de respect de l’espace commun. Les femmes y jouent fréquemment un rôle central, en coordonnant ces efforts grâce à leur proximité quotidienne avec le foyer et le voisinage.
Quand la jeunesse marocaine descend dans la rue avec un balai, ce n’est pas seulement de l’activisme environnemental : c’est une relecture contemporaine d’un patrimoine communautaire.
Dans plusieurs villes, les jeunes ne se sont pas contentés de nettoyer : ils ont aussi offert des fleurs aux policiers, en signe de respect et de gratitude pour leurs efforts dans le maintien de la paix. Un geste simple, mais lourd de sens, qui rappelle une ancienne coutume marocaine : celle d’offrir des pain de sucre (kwalb soukar) pour apaiser les tensions ou présenter des excuses après un désaccord. Ce symbole de douceur, enraciné dans la culture de la réconciliation, signifiait : « Que la paix revienne entre nous ». En choisissant aujourd’hui la fleur — autre emblème de pureté et d’apaisement — la jeunesse marocaine prolonge à sa manière cet héritage ancestral : transformer le conflit en dialogue, et la colère en geste de bonté.
La Génération Z marocaine ne fait pas que manifester — elle répare, nettoie, construit une image différente. Ce retour aux valeurs de la twiza, remises au goût du jour dans nos villes, montre qu’on peut conjuguer tradition et modernité pour faire cheminer le civisme.
Docteure en langues et communication et titulaire d'un master en tourisme et communication. J’ai eu l’occasion de développer l’expertise dans le domaine de la communication touristique. J’ai mené des recherches en ingénierie touristique et en développement du tourisme culturel.