Jusqu’au début des années 2000, la région d’Ikholan Ait toufaoute, dans la commune de Sidi Mzal (province de Taroudant), vivait au rythme des saisons agricoles. Chaque mois de mars, les amandiers en fleurs coloraient les vallées, annonçant une période de partage, de justice et de cohésion entre les familles du village.
Dans cette organisation ancestrale, les amandiers étaient partagés entre plusieurs familles, indépendamment de la terre sur laquelle ils poussaient. Les récoltes se faisaient sur la base d’accords héréditaires, transmis oralement, avec un sens profond de la justice et du respect mutuel.
La date d’ouverture de la cueillette était fixée par le représentant de la tribu “Amrar”. Ce dernier annonçait le début de la récolte à l’aide d’un cri traditionnel appelé “Abrah”, relayé dans tout le village. Avant cette annonce, toute cueillette était interdite.
Pour faire respecter les règles, des gardiens appelés “Infgouren” (sing. Anfgur) étaient nommés. Leur rôle consistait à surveiller les champs, protéger les récoltes et sanctionner les fraudeurs. Leur rémunération provenait des amendes infligées, et non d’un salaire.
Tout acte de récolte non autorisé, même anodin, entraînait une amende appelée « Tafgurt », applicable aux adultes comme aux enfants. En cas de soupçon de vol, le gardien — l’Anfgur — faisait mâcher à l’enfant un morceau de tissu noir : ce rituel, nommé « Feztakhzuzt », révélait d’éventuelles particules d’amande encore coincées entre les dents. Si la preuve était établie, la famille devait s’acquitter de l’amende.
Da Hmad Ouabdellah LAMINE fut l’un des derniers gardiens (“Anfgur”) de la tradition à Ikholan. Il incarnait la rigueur, la sagesse et la fidélité aux règles ancestrales.
Pendant de longues années, il veilla à la justice dans les champs d’amandiers, protégeant les droits de chacun avec équité.
Cet article lui est dédié, afin que son souvenir continue d’inspirer les habitants de la commune de Sidi Mzal et de toute la région de Taroudant.
Cette organisation exemplaire de la récolte des amandes a aujourd’hui quasiment disparu. La sècheresse prolongée a détruit une grande partie des amandiers, et l’exode rural a vidé les villages. La majorité des habitants ne vivent plus de l’agriculture, mais dépendent des revenus de leurs enfants, souvent installés en ville où ils pratiquent le commerce.
Les terres sont devenues silencieuses, les champs abandonnés, et les gardiens n’existent plus.
Pourtant, cette tradition continue de vivre dans les souvenirs, les récits et les visages marqués des anciens. Elle rappelle une époque où le lien à la terre était aussi un lien aux autres, fondé sur la solidarité, la parole donnée, et la justice communautaire.
Docteur en langues et communication et titulaire d'un master en tourisme et communication. J’ai eu l’occasion de développer l’expertise dans le domaine de la communication touristique. J’ai mené des recherches en ingénierie touristique et en développement du tourisme culturel.