Chaque année après l’Aïd al-Adha, les rues de plusieurs villes et villages marocains s’animent au rythme d’une tradition millénaire : Boujloud, aussi appelé Bilmawen en berbère. Cette célébration spectaculaire mêle rituels anciens, folklore, déguisements et musiques traditionnelles. Plongeons dans les origines, les symboles et les spécificités régionales de cette fête qui continue de fasciner les Marocains et les visiteurs du monde entier.
Le terme Boujloud signifie littéralement « le porteur de peaux » (abu = père, jloud = peaux). Ce nom illustre bien le cœur de cette fête, où les participants se couvrent des peaux des animaux sacrifiés lors de l’Aïd al-Adha.
Mais Boujloud ne se limite pas à un simple déguisement : ses origines remontent à des rites préislamiques, voire romains (les Saturnales), qui célébraient le passage, la fertilité ou encore la protection contre les esprits.
Avec le temps, ces coutumes ont été intégrées dans le tissu culturel amazighe, devenant un rituel populaire porteur d’identité et de mémoire collective.
Le festival débute généralement le deuxième jour de l’Aïd, et se prolonge sur plusieurs jours. Des jeunes du village, vêtus des peaux de mouton ou de chèvre, arpentent les rues en dansant, chantant et parfois en faisant peur aux enfants dans une ambiance joyeusement transgressive.
Ils portent parfois des masques artisanaux, des cornes, ou encore des éléments des membres de l’animal sacrifié, donnant à leurs silhouettes un aspect mi-homme, mi-bête.
Le cortège est accompagné de musiciens jouant des tambours (GANGA), des flûtes traditionnelles, formant une musique envoûtante qui accompagne les danses et les interactions avec le public.
Les porteurs de peaux approchent les spectateurs, les touchent ou les frappent doucement avec une branche ou un membre animal. Ce geste est interprété comme une bénédiction, une protection contre le mal ou encore un rappel du lien entre sacrifice et purification.
Boujloud incarne une figure ambivalente : le chaos régénérateur, la transgression des normes sociales et l’expression populaire. Il représente aussi une satire sociale : on y voit des scènes moqueuses, des déguisements travestis, des allusions religieuses ou politiques, toujours dans un esprit de comédie.
Ce rituel rappelle également le lien profond entre l’homme, l’animal et le sacré. En incarnant la bête sacrifiée, le porteur de peaux devient le messager d’un monde ancestral, où sacrifice, purification et renaissance sont au cœur des croyances.
Boujloud est célébré dans plusieurs régions marocaines, notamment :
À Agadir, la tradition a pris de l’ampleur avec un carnaval officiel rassemblant des troupes folkloriques, des artistes et des milliers de spectateurs.
Si Boujloud était autrefois un rituel local, il connaît aujourd’hui une certaine institutionnalisation : subventions publiques, encadrement culturel, médiatisation… Toutefois, certains dénoncent des dérives (harcèlement, extorsion), d’où l’importance de préserver l’authenticité et l’éthique populaire de cette fête.
Alors que Boujloud s’impose chaque année davantage comme un rendez-vous festif incontournable au Maroc, son évolution vers une forme de carnaval organisé continue de diviser. Dans plusieurs villes comme Agadir, où des éditions encadrées sont en place depuis 2023, les défenseurs de cette modernisation y voient une opportunité de valoriser le patrimoine amazighe, notamment en attirant un public plus large grâce à des costumes travaillés, des maquillages artistiques et une mise en scène professionnelle. À l’opposé, certaines voix, notamment parmi les anciens participants ou les ethnologues locaux, regrettent une perte d’authenticité, soulignant que la dimension rituelle et spirituelle s’efface au profit du spectaculaire. Certains députés ont même interpellé les autorités sur la nécessité d’un encadrement renforcé, après plusieurs incidents signalés dans certaines villes. Cette controverse prend un relief particulier en 2025, année marquée par l’annulation officielle de la fête du mouton au Maroc en raison de la crise économique et de la sécheresse. Une décision inédite qui fragilise le sens traditionnel de Boujloud, historiquement lié au sacrifice rituel, et interroge plus que jamais sur l’avenir de cette pratique entre transmission culturelle et adaptation contemporaine.
Boujloud n’est pas qu’une simple festivité post-Aïd. C’est une expression vivante de l’identité amazighe, un espace de liberté, de mémoire, de satire et de communion. En participant à cette fête, on touche du doigt la richesse culturelle du Maroc, entre tradition, spiritualité et modernité.
Si vous envisagez de découvrir le Boujloud au Maroc, préparez votre séjour en tenant compte du calendrier lunaire : les festivités ont toujours lieu entre le 2ème et le 7ème jours après l’Aïd al-Adha. Pour vivre l’événement dans toute sa richesse culturelle, privilégiez les villages ou petites villes où l’esprit traditionnel reste intact, et pensez à vous entourer d’un guide local afin de mieux comprendre la symbolique des rituels et d’éviter tout malentendu. Lors des déambulations costumées, adoptez une attitude respectueuse : les gestes modérés, les dons volontaires et la participation discrète sont appréciés. Pour les passionnés de photographie ou de reportage culturel, les moments les plus visuels et immersifs se déroulent généralement entre 15h et 19h, lorsque la lumière met en valeur les costumes, les danses et l’ambiance festive. Une belle opportunité pour plonger au cœur du patrimoine vivant marocain, entre folklore et spiritualité.
Docteur en langues et communication et titulaire d'un master en tourisme et communication. J’ai eu l’occasion de développer l’expertise dans le domaine de la communication touristique. J’ai mené des recherches en ingénierie touristique et en développement du tourisme culturel.