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Difficile d’imaginer le Maroc sans babouches. Dans les ruelles des médinas, sur les places de villages ou lors des grandes fêtes familiales, ces chaussures en cuir font partie du paysage. Mais derrière ce symbole de l’identité marocaine se cache aujourd’hui une vraie question : que devient la babouche traditionnelle face à la concurrence des babouches chinoises bon marché ?
Dans cet article, on part d’abord dans le monde des babouches amazighes Idukan d’Idaougnidif, puis on traverse Fès, Taroudant et Marrakech avant d’aborder la grande problématique des produits importés.
Les babouches Idukan (ايدوكان) sont l’une des fiertés amazighes de la région d’Idaougnidif. Entièrement réalisées en cuir, avec une semelle épaisse et solide, elles ont été conçues pour la vie en montagne. Leur forme enveloppante protège le pied et permet de marcher sur les dalles de granite rose caractéristiques de la région, de grimper les sentiers escarpés, de traverser les champs ou les oueds asséchés sans craindre l’usure.
Comme la jupe traditionnelle, on distingue plusieurs types d’Idukan :
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Les modèles de fête se reconnaissent à leur broderie minutieuse en fil de soie, réalisée à la main par des artisans chevronés. Les motifs géométriques amazighs, souvent en forme de croix et de losanges, couvrent tout le dessus de la chaussure. Chaque point est une preuve de patience et de savoir-faire, transmis de génération en génération.
Lors du mariage, les Idukan Lhrir occupent une place d’honneur dans l’Oukrisse : l’ensemble des cadeaux remis à la mariée. Elles symbolisent à la fois la beauté, la solidité du couple et l’attachement à la terre ancestrale.
Si les montagnes d’Idaougnidif ont leurs Idukan, d’autres régions du Maroc ont développé leurs propres styles, tout aussi emblématiques.
À Fès, capitale historique de l’artisanat, la babouche est synonyme de raffinement.
La babouche de Fès est celle qu’on imagine aux pieds des lettrés, des fqihs, des notables : discrète, mais d’une élégance intemporelle.
À Taroudant, au cœur du Souss, la babouche garde un caractère rural et robuste.
Elle reflète parfaitement la personnalité de la région : travailleuse, enracinée, mais fière de son style.
À Marrakech, la babouche devient un objet de mode à part entière.
Marrakech transforme la babouche en accessoire tendance, sans pour autant renier l’ancrage artisanal : derrière chaque paire, un maalem, un atelier, une histoire.
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À partir des années 2000, les marchés marocains voient apparaître des babouches importées de Chine :
Dans les souks de Fès, Marrakech, Taroudant ou Agadir, ces modèles attirent immédiatement une partie de la clientèle :
Mais pour les artisans marocains, c’est un choc économique :
Au-delà de l’aspect économique, c’est une question identitaire qui se pose :
Peut-on accepter que la babouche, symbole du Maroc, soit peu à peu remplacée par des copies industrielles venues de l’autre bout du monde ?
Face aux plaintes des chambres d’artisanat et de la Fédération des entreprises d’artisanat, les autorités marocaines n’ont pas tardé à réagir. Dès 2008–2009, une commission mixte réunissant Commerce extérieur, Douanes et professionnels est mise en place pour suivre le dossier, avec l’instauration d’un prix-plancher à l’import afin de limiter la sous-facturation et un contrôle renforcé de la qualité et de l’hygiène des lots importés. Puis, à partir du 1ᵉʳ janvier 2011, l’État décide d’imposer un droit d’importation de 35 % sur les babouches de contrefaçon en provenance de Chine et de définir des critères précis pour les “chaussants marocains”, dont la babouche, afin de mieux les distinguer juridiquement des copies. Parallèlement, à Fès, 23 ateliers obtiennent une certification qualité portant sur le cuir, les techniques de fabrication et l’absence de produits chimiques nocifs, tandis que des marques comme “Babouche Ziwani” et “Babouche Marocaine” sont déposées auprès de l’OMPIC pour protéger l’artisanat local contre les imitations en plastique “ à usage unique.
Face à cette concurrence, plusieurs réactions se dessinent.
Les artisans qui survivent sont souvent ceux qui misent sur :
Les clients sensibles au patrimoine, au confort et à la durabilité préfèrent investir dans une bonne paire plutôt que d’acheter plusieurs babouches “jetables”.
Des créateurs, blogueurs et médias comme maroculturel.com jouent un rôle essentiel en rappelant que :
En racontant ces histoires, on redonne du sens à l’acte d’achat : choisir une babouche artisanale, c’est aussi soutenir un mode de vie, une mémoire.
Certains artisans s’ouvrent à :
L’idée n’est pas de copier les modèles chinois, mais de réinventer la babouche marocaine pour qu’elle continue d’accompagner les jeunes générations.
Dans ce contexte de mutation et de mondialisation, un événement vient illustrer concrètement ces enjeux de coopération et d’interculturalité.
Au moment où le China Morocco Smart Life Show s’ouvre à la Foire Internationale de Casablanca, du 19 au 21 novembre 2025, la coopération entre le Maroc et la Chine ne se limite plus aux usines et aux chiffres. Elle touche directement notre “smart life”, notre manière de consommer, de nous habiller, d’équiper nos maisons, à travers les stands dédiés aux technologies du quotidien, aux produits pour la maison, au commerce et aux services connectés.C’est précisément là que se joue l’enjeu : faire en sorte que cette coopération économique suive le chemin de l’interculturalité et de la complémentarité, où la force industrielle chinoise vient rencontrer – et non effacer – le patrimoine marocain. Des Idukan d’Idaougnidif, caftans et djellabas de Fès, Marrakech ou Taroudant, aux tissages et tapis du Souss, arts de la table, thé à la menthe, pâtisseries et cuisine de terroir, nos savoir-faire vestimentaires, artisanaux et gastronomiques peuvent trouver leur place dans cette nouvelle carte des échanges, comme des biens culturels à valoriser et à faire rayonner, et non comme de simples produits à remplacer.
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Des Idukan d’Idaougnidif aux babouches élégantes de Fès, robustes de Taroudant ou flamboyantes de Marrakech, la babouche marocaine raconte tout un pays. L’arrivée massive des babouches chinoises a rappelé une vérité simple :
Un patrimoine qui n’est pas protégé, raconté et valorisé peut disparaître en silence.
La prochaine fois que nous entrerons dans un souk pour acheter une paire de babouches, une question se posera :
allons-nous opter pour le “pas cher et jetable” ou pour la babouche qui porte en elle la main du maalem, la mémoire de nos régions et la fierté de nos cultures ?
C’est peut-être là que se joue, discrètement, l’avenir de la babouche marocaine.

Docteure en langues et communication et titulaire d'un master en tourisme et communication. J’ai eu l’occasion de développer l’expertise dans le domaine de la communication touristique. J’ai mené des recherches en ingénierie touristique et en développement du tourisme culturel.