RICHESSE ET PATRIMOINE MAROCAINS

Babouches marocaines à l’heure du China Morocco Smart Life Show 2025 à Casablanca

19/11/2025
Babouches marocaines multicolores en cuir – artisanat traditionnel

Babouches marocaines : un symbole marocain sous pression

Difficile d’imaginer le Maroc sans babouches. Dans les ruelles des médinas, sur les places de villages ou lors des grandes fêtes familiales, ces chaussures en cuir font partie du paysage. Mais derrière ce symbole de l’identité marocaine se cache aujourd’hui une vraie question : que devient la babouche traditionnelle face à la concurrence des babouches chinoises bon marché ?

Dans cet article, on part d’abord dans le monde des babouches amazighes Idukan d’Idaougnidif, puis on traverse Fès, Taroudant et Marrakech avant d’aborder la grande problématique des produits importés.

Idukan : les babouches amazighes d’Idaougnidif

Les babouches Idukan (ايدوكان) sont l’une des fiertés amazighes de la région d’Idaougnidif. Entièrement réalisées en cuir, avec une semelle épaisse et solide, elles ont été conçues pour la vie en montagne. Leur forme enveloppante protège le pied et permet de marcher sur les dalles de granite rose caractéristiques de la région, de grimper les sentiers escarpés, de traverser les champs ou les oueds asséchés sans craindre l’usure.

Comme la jupe traditionnelle, on distingue plusieurs types d’Idukan :

  • Tarihit (تريحيت) : le modèle rouge, robuste, destiné aux travaux quotidiens.
  • Tagnidift (تكنيظيفت) : la version de fête, richement brodée et colorée.
  • Idukan Lhrir : les babouches les plus précieuses, réservées à la mariée et événements festifs.

Les modèles de fête se reconnaissent à leur broderie minutieuse en fil de soie, réalisée à la main par des artisans chevronés. Les motifs géométriques amazighs, souvent en forme de croix et de losanges, couvrent tout le dessus de la chaussure. Chaque point est une preuve de patience et de savoir-faire, transmis de génération en génération.

Lors du mariage, les Idukan Lhrir occupent une place d’honneur dans l’Oukrisse : l’ensemble des cadeaux remis à la mariée. Elles symbolisent à la fois la beauté, la solidité du couple et l’attachement à la terre ancestrale.

Fès, Taroudant, Marrakech : trois villes, trois styles de babouches

Si les montagnes d’Idaougnidif ont leurs Idukan, d’autres régions du Maroc ont développé leurs propres styles, tout aussi emblématiques.

1. La babouche de Fès : l’élégance citadine

À Fès, capitale historique de l’artisanat, la babouche est synonyme de raffinement.

  • Le cuir y est soigneusement tanné, souvent dans les fameuses tanneries de la médina.
  • Les couleurs classiques dominent : jaune safran, noir, marron, parfois bordeaux.
  • La forme est simple, sans excès, mais la finesse de la couture et la qualité de la semelle en font une chaussure confortable, idéale pour la ville, les prières du vendredi ou les grandes occasions.
  • Pour la mariée, ces babouches sont des chaussons en cuir fin, souvent jaune safran, élégamment brodés de fils dorés ou argentés pour accompagner le caftan nuptial avec raffinement.

La babouche de Fès est celle qu’on imagine aux pieds des lettrés, des fqihs, des notables : discrète, mais d’une élégance intemporelle.

2. La babouche de Taroudant : la force du Souss

À Taroudant, au cœur du Souss, la babouche garde un caractère rural et robuste.

  • Le cuir y est plus épais, la semelle renforcée pour supporter les longues journées de travail.
  • On la retrouve dans les souks, aux pieds des agriculteurs, des artisans, mais aussi des jeunes qui apprécient son côté pratique.
  • Les couleurs peuvent être naturelles ou plus vives, mais l’esprit reste celui d’une chaussure faite pour durer.

Elle reflète parfaitement la personnalité de la région : travailleuse, enracinée, mais fière de son style.

3. La babouche de Marrakech : la star des souks

À Marrakech, la babouche devient un objet de mode à part entière.

  • Souvent pointue, très colorée, parfois brodée, parfois ornée de pompons ou de motifs métalliques.
  • Elle séduit autant les Marocains que les touristes, qui l’achètent comme souvenir de la ville ocre.
  • Des modèles traditionnels côtoient des créations plus modernes, inspirées des tendances internationales.

Marrakech transforme la babouche en accessoire tendance, sans pour autant renier l’ancrage artisanal : derrière chaque paire, un maalem, un atelier, une histoire.

L’irruption des babouches chinoises : quand le “pas cher” menace le patrimoine

À partir des années 2000, les marchés marocains voient apparaître des babouches importées de Chine :

  • fabriquées en matières synthétiques ou en simili cuir,
  • produites en grande série,
  • vendues à des prix souvent deux à trois fois moins chers que les babouches artisanales.

Dans les souks de Fès, Marrakech, Taroudant ou Agadir, ces modèles attirent immédiatement une partie de la clientèle :

  • parfaits pour un usage ponctuel,
  • très colorés,
  • faciles à remplacer.

Mais pour les artisans marocains, c’est un choc économique :

  • les ateliers voient leurs commandes chuter,
  • certains maalems ferment boutique,
  • les jeunes se détournent de l’apprentissage du métier, jugé peu rentable.

Au-delà de l’aspect économique, c’est une question identitaire qui se pose :

Peut-on accepter que la babouche, symbole du Maroc, soit peu à peu remplacée par des copies industrielles venues de l’autre bout du monde ?

Face aux plaintes des chambres d’artisanat et de la Fédération des entreprises d’artisanat, les autorités marocaines n’ont pas tardé à réagir. Dès 2008–2009, une commission mixte réunissant Commerce extérieur, Douanes et professionnels est mise en place pour suivre le dossier, avec l’instauration d’un prix-plancher à l’import afin de limiter la sous-facturation et un contrôle renforcé de la qualité et de l’hygiène des lots importés. Puis, à partir du 1ᵉʳ janvier 2011, l’État décide d’imposer un droit d’importation de 35 % sur les babouches de contrefaçon en provenance de Chine et de définir des critères précis pour les “chaussants marocains”, dont la babouche, afin de mieux les distinguer juridiquement des copies. Parallèlement, à Fès, 23 ateliers obtiennent une certification qualité portant sur le cuir, les techniques de fabrication et l’absence de produits chimiques nocifs, tandis que des marques comme “Babouche Ziwani” et “Babouche Marocaine” sont déposées auprès de l’OMPIC pour protéger l’artisanat local contre les imitations en plastique “ à usage unique.

Entre résistance et renouveau : quel avenir pour la babouche marocaine ?

Face à cette concurrence, plusieurs réactions se dessinent.

1. Miser sur la qualité et l’authenticité

Les artisans qui survivent sont souvent ceux qui misent sur :

  • la qualité du vrai cuir marocain,
  • des finitions soignées,
  • une transparence sur l’origine du produit : “fait main à Fès”, “babouche amazighe d’Idaougnidif”, etc.

Les clients sensibles au patrimoine, au confort et à la durabilité préfèrent investir dans une bonne paire plutôt que d’acheter plusieurs babouches “jetables”.

2. Valoriser la dimension culturelle

Des créateurs, blogueurs et médias comme maroculturel.com jouent un rôle essentiel en rappelant que :

  • les Idukan, les babouches de Fès, de Taroudant ou de Marrakech ne sont pas de simples chaussures,
  • mais des objets de culture, liés au mariage, aux fêtes religieuses, à la vie quotidienne des ancêtres.

En racontant ces histoires, on redonne du sens à l’acte d’achat : choisir une babouche artisanale, c’est aussi soutenir un mode de vie, une mémoire.

3. Innover sans perdre son âme

Certains artisans s’ouvrent à :

  • de nouveaux coloris,
  • des formes plus modernes ou adaptées au confort urbain,
  • la vente en ligne et l’export.

L’idée n’est pas de copier les modèles chinois, mais de réinventer la babouche marocaine pour qu’elle continue d’accompagner les jeunes générations.

Dans ce contexte de mutation et de mondialisation, un événement vient illustrer concrètement ces enjeux de coopération et d’interculturalité.
Au moment où le China Morocco Smart Life Show s’ouvre à la Foire Internationale de Casablanca, du 19 au 21 novembre 2025, la coopération entre le Maroc et la Chine ne se limite plus aux usines et aux chiffres. Elle touche directement notre “smart life”, notre manière de consommer, de nous habiller, d’équiper nos maisons, à travers les stands dédiés aux technologies du quotidien, aux produits pour la maison, au commerce et aux services connectés.C’est précisément là que se joue l’enjeu : faire en sorte que cette coopération économique suive le chemin de l’interculturalité et de la complémentarité, où la force industrielle chinoise vient rencontrer – et non effacer – le patrimoine marocain. Des Idukan d’Idaougnidif, caftans et djellabas de Fès, Marrakech ou Taroudant, aux tissages et tapis du Souss, arts de la table, thé à la menthe, pâtisseries et cuisine de terroir, nos savoir-faire vestimentaires, artisanaux et gastronomiques peuvent trouver leur place dans cette nouvelle carte des échanges, comme des biens culturels à valoriser et à faire rayonner, et non comme de simples produits à remplacer.

Que choisirons-nous de porter demain ?

Des Idukan d’Idaougnidif aux babouches élégantes de Fès, robustes de Taroudant ou flamboyantes de Marrakech, la babouche marocaine raconte tout un pays. L’arrivée massive des babouches chinoises a rappelé une vérité simple :

Un patrimoine qui n’est pas protégé, raconté et valorisé peut disparaître en silence.

La prochaine fois que nous entrerons dans un souk pour acheter une paire de babouches, une question se posera :
allons-nous opter pour le “pas cher et jetable” ou pour la babouche qui porte en elle la main du maalem, la mémoire de nos régions et la fierté de nos cultures ?

C’est peut-être là que se joue, discrètement, l’avenir de la babouche marocaine.

Auteur
Photo de profil du docteur Zahra Boughroudi

Zahra Boughroudi

Docteure en langues et communication et titulaire d'un master en tourisme et communication. J’ai eu l’occasion de développer l’expertise dans le domaine de la communication touristique. J’ai mené des recherches en ingénierie touristique et en développement du tourisme culturel.